UN MUJIJI NE A BUTURIRWA, KANERWA ACTUEL
Merci de savoir d’abord que le Burundi traditionnel n’était pas un pays
dit de hutu et de tutsi comme on l’a voulu depuis les années 1925-1930, quand
la Belgique coloniale, à la suite de l’Allemagne, conceptualise la supériorité
raciste et crée, selon le phénomène connu de l’ « ethnogenèse », le
désastreux clivage ethnique.
En effet, le Burundi de nos Bami était avant tout un pays de clans qui
vivaient ensemble en bonne intelligence. Les Bahanza comme les Bajiji ou les
Banyakarama, les Benengwe ou encore les Basapfu… pour ne citer que ceux là…
(car il y en a de nombreux autres) se côtoyaient et servaient le même
Sebarundi.
Bihome était un Mujiji, originaire de la colline actuelle Kanerwa,
anciennement appelée Buturirwa. Cette colline s’érige dans la partie tenant
lieu de transition géographique entre le Mugamba et le Kirimiro dans la commune
de Kiganda, dans le Muramvya ancien, où était basé le pouvoir de la dynastie Ganwa,
durant les quelques centaines d’années que l’on sait.
L’un des frères Bihome, le plus connu c’est Kivumbi. J’ai grandi en le
voyant collaborer avec la Mwezikazi Inagiswaswa, connue pour avoir été l’une des
rares femmes à avoir joué le rôle de Cheffe (responsable de territoire). On dit
que Kivumbi s’est vu accorder le titre de sous chef nommé sous l'administration
belge en signe de récompense posthume dont est bénéficiaire toute la famille
Bihome pour le rôle joué du tems des troupes allemandes du capitaine Von
Beringe, que nos ancêtres appelaient Birenge.
KIVUMBI, CHARLES KARORERO, AINSI DE SUITE…
L’histoire de la descendance Bihome et des récompenses posthumes a
reçues ne datent donc pas d’hier. On en
sait beaucoup plus pour ce qui se passe du temps de la colonisation, mais
paradoxalement celle de notre postindépendance est à réécrire. Elle est jalonnée
de bien des inconnues et non dits qui, s’ils étaient décodés, apporteraient des
lumières sur plusieurs aspects de la vie cachée du Burundi.
Un exemple : comment Micombero s’empare-t-il, avec l’aide de Jean Ntiruhwama,
du poste de ministre de la défense en 1963 alors que ce poste était destiné, selon
la vision belge de l’époque et selon les témoins, à un Mujiji de la descendance
Bihome ?
Le nom de ce jeune Mujiji, qui compte parmi les 3 premiers officiers burundais
formés de notre histoire s’appelle Charles Karorero[1],
exécuté sommairement en septembre- décembre 1969, suite au procès préfabriqué
qui visait la purge de l’élite hutu émergeante après 1965. Un des livres que
nous devons à l’histoire Rapahël Ntibazonkiza en parle. Un collectif milite depuis plusieurs années
pour la mémoire des 500 victimes tombées sous les balles de la Première République.
(Voir ici : http://burundi-agnews.org/sports-and-games/?p=11004)
D’AUTRES NOMBREUSES ZONES D’OMBRE A ECLAIRCIR
C’est dire que les petits fils qui ont reçu le prix de l’Olucome, ont
comme vous et moi, connu les souffrances des générations qui ont grandi sous
les régimes autoritaires issus du coup de force de 1966. Dans l’ex-Buturirwa,
il nous a surtout été refusé, comme partout ailleurs, le droit et la joie de
visiter nos arbres généalogiques, voire de pleurer nos morts et de lever le
deuil.[2]
A titre d’illustration, ces petits fils fêtés en décembre dernier
ignorent bien des choses à propos de ce notable de Mbuye, qui s’est vu attribué
une immense propriété dans cette commune, toujours en signe de récompense
posthume du sauveur de l’institution monarchique de mai 1903.
SELON LE DICTIONNAIRE DE WARREN WEINSTEIN
Puisque nous en sommes encore là, contentons nous des certitudes que
l’Histoire nous laisse déjà. Dire par exemple qu’après la victoire de l'Uprona
aux législatives de 1961, les Occidentaux pris dans la tourmente de la guerre
froide avec ses répercussions en Afrique, y compris au Burundi, ont vivement encouragé
le roi Mwambutsa à poursuivre l’œuvre de valorisation citoyenne de la famille
Bihome.
D’après le dictionnaire historique de Warren Weinstein, un ancien
diplomate américain très bien informés de Bujumbura, qui a inventorié les noms
des principales figures politiques du Burundi depuis les Temps Modernes écrit
noir sur blanc que l’aura qu’avait au niveau national et dans les plus hautes
institutions de l’Etat le député Emile Benyuje (dit Benyaguje), un Uproniste de première heure aux cotés de
Rwagasore dans le fief fondateur de ce parti à Muramvya, se réfère à sa descendance
avec l’ancêtre Bihome. Il est dit dans ce dictionnaire que Benyuje, fils de
Munda (un autre frère à Bihome et Kivumbi), a été nommé représentant de la Couronne
burundaise au Parlement de septembre 1961. C’était vu, une fois encore, comme
une récompense attribuée à titre
posthume à la famille du héros de 1903.
Le dictionnaire de Warren Weinstein explique que Benyaguje était reconnu
pour son autorité morale, son prestige, son aura personnelle, son esprit d’autodidacte
et surtout son sens de l’Etat. De son métier de maçon, sans avoir dépassé la 3ème
année de l’Ecole primaire, Benyuje s’était donné l’image d’un Ingénieur à qui
on doit des ouvrages de grand génie, avant d’être brillamment élu au parlement
de 1961.
MICOMBERO ET SIMABANANIYE NOUS APPELAIENT DES BAMENJA
Il fut massacré en 1965, au même
moment et dans les mêmes conditions que les Joseph Bamina (Premier Ministre en
1965), Paul Mirerekano (le numéro deux de l’Uprona dans la lutte pour
l’indépendance( Détails : voir sur www.arib.info),
Gervais Nyangoma et autres dignitaires
élus au terme du scrutin du 10 mai 1965.
Ces dignitaires furent les victimes du procès inique qu'organisent
Micombero et Simbananiye, en dépit des protestations de la communauté
internationale, comme celle de la très ancienne Commission internationale des
Juristes (CIJ) de Genève.
Les Burundais savent que dès ce moment-là, une chasse aux sorcières a été
engagée par les putschistes de 1965-1966, qui commencent par faire tomber Mwambutsa
après avoir induit en erreur le jeune Ntare V, contre tous ceux qui seront
appelés des « Bamenja », des « Benyaguje », disait-on dans notre
entourage, quand nous allions à l’Ecole.
En 1969, l'exécution sommaire du Commandant Charles Karorero, (qui était
entretemps devenu le premier lauréat le plus haut gradé burundais d'une
académie militaire occidentale (belge) est à lire dans ce contexte.
Si j’étais un jeune étudiant en Histoire
Un mot spécial sur le Buturirwa
ancien
Buturirwa était une colline rituelle du Burundi
ancien. Mworoha a écrit que cette colline avait le même statut que la colline
Mugera. Explication : Mugera était sacrée, car elle était la colline de
naissance de Mwezi Gisabo. C’est là que vivait la reine mère Vyano, la maman du
roi.
Buturirwa de son côté était censé abriter le python
Bihiribigonzi, considéré comme étant le gardien / gendarme du royaume. D’après
les anciens de chez nous, aucun protagoniste armé n’était autorisé à le
franchir sous peine de représailles naturelles dirigées contre l’envahisseur par
la colère des dieux protecteurs du lieu.
Nos historiens n’ont pas voulu nous expliquer si Mwezi
Gisabo, pourchassé par les Allemands, qui avaient brûlé les palais de Muramvya
et Mbuye avant l’assaut final qu’ils ont dirigé au deuxième trimestre 1903 pour
tenter de l’assassiner, est venu trouver refuge dans les lieux gardés du
Buturirwa où Bihiribigonzi veillait.
Si j’étais un étudiant en Histoire, j’en ferai un
sujet de thèse doctorale.
Toujours-est-il qu’il est vrai que ce lieu s’était
entouré d’un mythe, qui ne fut pas salué avec grand cœur du temps du tribalisme
de nos dirigeants. Ainsi, depuis la République de 1966, la chasse aux sorcières
dirigées contre les jeunes de cette colline a rapidement pris l’allure d’une
persécution systématique.
Je témoigne que dès mon jeune âge d’écolier des
premières années du secondaire, avant même d’avoir mon Diplôme de 4 ans à l’Ecole Moyenne
Pédagogique de Rusengo, j’étais aussi un « Mumenja », un
« Benyaguje ». Tous les jeunes écoliers prétendants aux diplômes
scolaires et ethniquement proches de l’ancien député étaient des « Benyaguje ».
Les harcèlements sont allés plus loin. au milieu des
années 60, nos parents étaient conscients du manque d’infrastructures
scolaires. Ils s’étaient arrangés pour construire à Kimanda, juste sur loe
noyau central de la colline, les deux premières classes d’une série d’autres
qui devient devenir une copie primaire, la première de l’histoire, qui devait s’installer
sur la colline Kanerwa. La plus proche école était à Kiganda, à près de 5 km.
Mais, vers 1967-1969, un trop zélé bourgmestre, mû par des motivations
ethniques a proclamé qu’il n’y avait pas place pour une école dans ce « fief
Benyaguje » et a ordonné sa destruction. J’avais à l’époque une petite sœur
qui y faisait sa deuxième année. Elle fut obligé d’entreprendre le long chemin
quotidien de près de 10 km pour poursuivre ses études primaires[3].
Quand j’étais appelé un Mumenja après la « lettre
ouverte » du 22 août 1988
En septembre 1988, quand j’étais sous les verrous pour
avoir rédigé la lettre ouverte contre les massacres de Ntega Marangara, j’avais
trois péchés ? Le premier péché : j’avais pris l’initiative de cette
lettre ; le deuxième péché, j’étais un « Benyaguje ». Le
troisième (je l’ai compris beaucoup plus tard), j’étais aussi originaire de
Muramvya. Selon la géopolitique de l’époque, je venais d’une région traditionnellement
rivale / ennemie de celle Bururi, le Sud, qui s’est emparé du pouvoir en
renversant la monarchie et en créant une nouvelle hégémonie, celle des Bahima
du sud.
Du temps du régionalisme entre ces deux entités, en
effet, être hutu et en même temps naître à Muramvya en commettant l’autre « crime »
d’afficher une indépendance politique par rapport à la ligne dominante des
maîtres du Parti-Etat, c’était la pire des appartenances.
Mes tortionnaires voulaient de moi que je renie ma
filiation à mon père, Gaspard Gahungu, un Muhanza bien connu de Kanerwa ;
ils voulaient absolument me faire signer un procès verbal dans lequel iols
écriraient noir-sur blanc que j’étais un Déo, le fils de Benyaguje, donc un
« Mumenja ».
Selon l’air de l’époque, un « Mumenja »
pouvait être exécuté, sans que personne ne vienne demander des comptes, comme
ils l’ont fait pour le député de 1965.
En fait, si j’ai survécu à cette vindicte, qui dure
jusque le 31 janvier 1989, le jour de ma sortie de la prison Mpimba, c’est pour
d’autres raisons, que je ne peux avoir le temps d’exposer ici.
Le devoir moral m’oblige de signaler, brièvement à ce
stade, que j’ai survécu grâce à un geste ultime posé par le colonel Dieudonné
Nzeyimana[4],
un des chefs des services secrets de l’époque, qui, faisant irruption dans la
salle où les policiers dangereux voulaient m’achever à ordonné la cessation des
sévices.
Je dois terminer cette
note, que pendant la crise de 1993-1996, notre colline s’est même vu attribuer
le surnom de « Zone rouge », c’est-à-dire un lieu sur lequel l’armée
avait un œil particulier dans ses campagnes de répression contre les
populations.
Le camp Mwaro, surtout,
sous le commandement de celui qui sera ministre de la Défense sous Buyoya II,
l’auteur du putsch de juillet 1966, avant de se faire nommer attaché militaire
à New York, y a régulièrement effectué des sorties remarquées. Si quelqu’un
veut diligenter une enquête, voici, je lui ai donné des pistes.
Et dire donc aujourd’hui que des fils et filles du
Buturirwa ancien, le Kanerwa actuel, ont un ancêtre enfin récompensé, c’est
manifestement une nouvelle ère qui commence au Burundi. Malgré tout ce que l’on
croit.
C’est une autre façon
d’engager un processus de Vérité, là où l’on refuse au peuple un cadeau trop
longtemps attendu.
[1] Les
2 autres officiers dont il est question sont Micombero et Sylvère Sota. C’est
mécontent d’avoir vu son poste attribué à Micombero, un hima, qui aurait été
présenté comme un hutu, que Karorero s’en va reprendre ses études supérieures
militaires en Belgique. Il en revient en 1968 e devient Officier G3 de l’Etat
major de l’armée burundaise.
[2] C’est
seulement maiantenant que la famille Benyaguje, ensemble avec celle de Karorero
et d’autres envisagent pour les prochains mois de lever le deuil des disparus
de 1965 et d’après pour des décès survenus il y a plus de 40 ans !
[3]
Dans un élan de fierté patriotique retrouvée, les habitants de Kanerwa d’aujourd’hui,
grâce la petite élite qui a pu émerger ces dernières années ont réussi de faire
revivre une école à cet endroit. La reconstruction continue.
[4] Dieudonné
Nzeyimana, est ce colonel assassiné durant la crise 1994-1998 et qui avait le
titre d’officier G2 d’Etat major (il était chargé du renseignement). Ses amis
sont convaincus qu’il a été victime d’un complot dirigé par le noyau de tueurs encore
intouchables aujourd’hui, qui se sont mis à éliminer toute personne soupçonnées
de détenir des informations sensibles sur la mort du Président Ndadaye. C’était
le cas de ce colonel qui m’a sauvé la vie.
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