J’ai eu tendance, durant ces 25
dernières années, d'oublier de me souvenir du 31 janvier comme d’une date mémorable pour
moi. Car en effet, il s’agit d’une date clé. C’est-à-date que j’ai été libéré
de prison après 5 mois infligés à tous ceux que la police politique du Major
Buyoya voulait punir pour avoir eu le culot de signer une lettre ouverte. Nous
avions été six personnes (sur les 27) à avoir été arrêtées.
Cette libération était atypique.
Le ministère public avait été prié de signer un mandat d’élargissement près d’une
semaine plus tôt. Le gouvernement n’en pouvait plus, suite aux pressions de la
communauté internationale qui avait juré que Bujumbura n’aurait plus aucun sou
si les signataires de la lettre du 22 aout 1988 n’étaient pas libérés.
Puis, dans la cacophonie, l’autorité politique a annoncé la mesure en
priant la presse à en faire la plus large diffusion, mais sans avoir donné au parquet
général alors dirigé par Marc Birihanyuma de préparer les dossiers, car nous n’en
avions pas. La libération annoncée n’eut pas lieu. Il nous a fallu passer
quatre autres longs jours à Mpimba, ce qui soulevait mille questions dans l’opinion
publique désabusée.
Le parquet général de Marc
Birihanyuma était dépassé par la situation.
Le procureur général organisa donc lui-même en personne des
interrogatoires massifs à la va-vite. Il y avait un objectif caché : les
services spéciaux préparaient un coup fourré (IREMENTANY), des dossiers
fabriqués de toutes pièces, qui leur serviraient de caution immorale pour
arrêter à nouveau les plus ciblés d’entre nous.
C’est ce qui m’arriva vers la mi-février 1989. Le colonel chef des Services
secrets avait doublé les moyens logistiques de ses « sûretards » de Gitega
où j’habitais. Je faisais l’objectif d’une surveillance exceptionnelle, même
quand j’entrais dans une église pour prier.
Un jour je me suis rendu à Bujumbura en visite de courtoisie auprès du
Nonce apostolique, qui m’avait hébergé pendant les moments difficiles, pendant
que les policiers étaient sur mes trousses pour m’arrêter.
A peine étais-je retourné à Gitega qu’un émissaire m’a été envoyé pour
m’annoncer que mon séjour à Bujumbura n’était plus souhaitable… D’autres intimidations du genre suivirent sans
répit...
Finalement, le 20 février, une convocation du patron de ce qui était la
Documentation de l’époque est m’est parvenue,
verbalement, par le biais du « Sûretard » en chef de Gitega. J’étais tellement avisé que je ne pouvais pas
commettre l’erreur de me présenter à mon ancien tortionnaire. J’ai aussitôt fui
le même jour avec toute ma famille.
Le HCR et son combat contre un commando
de gangsters envoyés par Bujumbura
Au lendemain de notre arrivée à Kigali, une alerte a été donnée. Un
commando de 5 gangsters avaient été envoyés par Bujumbura pour me kidnapper. Ils
n’ont pas eu de chances. Mais moi j’ai eu la mienne.
Car un mois plus tard, j’étais à Genève pour être aussitôt admis comme
réfugiés politique. Le HCR et le CICR avaient tout fait pour m’offrir l’assistance
que je méritais. Je me souviens de ce fonctionnaire de nationalité japonais, M.
Takada, qui s’est démené jour et nuit pour trouver une issue aux préoccupations
dont j’étais l’objet et surtout pour m’aider à échapper au commando.
Je me souviens aussi de la rapidité extraordinaire avec laquelle l’ambassade
de Suisse à Kigali a traité mon cas. Je me souviens évidemment de tout ce
monde, policiers, agents d’immigration, personnel au sol de la compagnie Sabena
de l’époque qui m’ont pris en charge à l’aéroport international de Kigali, me
faisant monter dans l’avion sans avoir dû passer par les couloirs habituels en
vue de me soustraire aux regards insécurisants.
Je me souviens encore de ces autres hommes et femmes qui, à Bruxelles,
en attendant la connexion sur Genève, m’ont accueilli dans un salon discret, avec ma famille, après plus de 10 heures de
vol via Djeddah, pour poursuivre le voyage sans heurts.
Ce jour du 31 janvier 2014, 25 ans après les faits, je leur en remercie
encore vivement.
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