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« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire », a dit un sage.


samedi 15 février 2014

Crise gouvernementale à Bujumbura : la fin de l'acte I du psychodrame à l'Uprona?

Deux importants événements viennent de mettre fin cette semaine à ce que je vais appeler l'Acte I d'un psychodrame politico-politicien et diplomatique, qui sera suivi cependant d'autres moult rebondissements, eux-aussi imprévisibles comme les précédents. Tous ces deux événements, malgré le fait qu'ils ont marqué le Burundi pour plusieurs mois, ont ceci de commun qu'ils ont eu lieu le même jour, à plusieurs milliers de kilomètres de distance l'un de l'autre. Les analystes traditionnels (surtout dans nos radios locales), généralement pressés de tirer des sonnettes me semblent avoir préféré le "low profile", le "wait and see" au lieu de s'emparer des faits pour les projeter dans l'avenir. Ce qui, de mon point de vue, doit absolument être noté ici.

Le premier événement s'est clôturé hier après avoir pris forme le jeudi, 13 février avant la tombée de la nuit. Il s'agit de l'élection d'un nouveau 1er Vice Président de la République. M. Prosper Bazombanza réunit des atouts que ses détracteurs ont entrepris d'attaquer: c'est un  Tutsi, membre de l'Uprona, connaisseur du système en place pour avoir été gouverneur de province. Il n'est cependant pas un apparatchik moulé de la vieille garde, cette branche qui dompte l'ancien Parti-Etat, éclaté en plusieurs factions, comme le sont toutes les autres principales formations politiques de l'échiquier burundais.

Ressortissant de ce qui fut, géopolitiquement parlant, depuis les années Bagaza (1976-1987), le "Vieux Burundi" (Muramvya ancien, le centre, fief traditionnel du leadership historique national) par opposition à Bururi, le Sud dominant, fief des putschistes des trois générations de régimes militaires passés, Bazombanza a peu de choses à voir avec l'establishment auquel appartient son prédécesseur Busokoza.

Une bataille gagnée et une guerre qui continue

Cela veut dire, en réalité, que les ténors ou autres stratèges du pouvoir parallèle, ce moule qui depuis la chute du Roi Mwambutsa en 1965 dirigent le pays - en prenant en otage les institutions, grâce à quelques pions placés à cet effet, viennent de perdre une bataille dans la guéguerre qui est loin de se terminer.

Ces ténors, on les a vus exfiltrés, pour la première fois dans notre histoire récente, durant les trois mois trop courts qu'a vécu le Président Ndadaye, entre juillet et octobre 1993. Puis, ils sont revenus en force avec les ingénieries partisanes qui débouchent sur la surprenante longévité de la crise que nous avons vécue. J'y reviens à l'instant.

Cette semaine, faut-il le réaffirmer, ils viennent de perdre une bataille. Mais, comme on le verra, la guerre, elle, redisons-le également, ne fait que continuer. C'est un chapitre sur lequel nous devrions revenir plus tard...

Le deuxième événement a eu lieu le même jeudi dernier dans les salons feutrés du Conseil de Sécurité de l'ONU à New York. C'est la décision prise de fermer le bureau du représentant spécial du Secrétaire général Ban-Ki Moon, à Bujumbura d'ici au 31 décembre 2014.

Ce retrait s'était négocié depuis plusieurs semaines, laissant un goût amer chez des diplomates qui s'étaient attendus au contraire, vu les capacités qu'avait le Burundi d'imposer sa volonté à ses parrains de la Commission de Consolidation de la Paix (CCP).

A mon avis, la vraie explication du malaise installé entre l'ONU, ou si vous voulez la communauté internationale, ce n'est pas ce qui vous est servi dans les communiqués officiels, voire dans la plupart des commentaires que je juge d'ailleurs non avisés quand il ne s'agit pas de larmes de crocodiles.

Tout est lié à une donne vieille d'au moins 20 ans, qui est néanmoins en train de s'effriter. Selon moi, la communauté internationale est en train de payer une erreur bien souvent commise à son insu par des intervenants peu scrupuleux ou trop commodes, qui l'ont souvent engagée sur des pistes assez discutables.

Notre "village planétaire" commence à payer pour des manquements engagés sur le terrain...

"Hidden agendas". Quand on parle d'agendas cachés, il y en a bien eu au Burundi des deux dernières décennies. Ces agendas pourraient avoir été engagés au nom de la communauté internationale, parfois à son insu et au détriment de la gouvernance durable par des experts, fonctionnaires et/ou diplomates qui étaient sensés aider Bujumbura à rétablir la légitimité institutionnel après le putsch d'octobre, mais se sont contentés de calmer le jeu en consolidant en réalité les forces qui avaient jeté le pays dans le chaos.

Une phrase est restée pitoyablement célèbre quand un chef d'un petit parti qui est d'ailleurs déjà porté disparu a déclaré : Ico'umwana w'umwami aririrye arakironka. J'ai suivi les événements de très près puisque j'étais un Conseiller proche du Président Ntaryamira quand, entre le 10 et le 12 février 1994, celui-ci s'est vu obligé de remanier un gouvernement en moins de 24 heures durant son trop court mandat de moins de deux mois.

Ntibantunganya a vécu le pire, lui qui s'est vu obligé de nommer aux postes respectables de Chef d'Etat major de l'Armée et celui de la Gendarmerie les deux colonels qui ont encadré l'élimination physique du Premier Président démocratiquement élu.

Il est clair que des dirigeants Barundi de cette époque détiennent la plus grande responsabilité dans leur propre humiliation.  Sauf qu'il ne faut jamais oublier que rien ne pouvait se faire sans la bénédiction, voire la pression de certains puissants représentants de la communauté internationale de l'époque. Un drame que nous avons payé très cher.

En effet, depuis l'assassinat encore impuni du 21 octobre 1993, les diplomates ont souvent changé de casquettes, agissant parfois par des gestes qui, au final, ne faisaient que donner l'impression qu'ils se mettaient à l'écoute de tenants d'un ancien système définitivement dépassé. C'est comme cela que l'on est parvenu à la fameuse Convention de gouvernement de septembre 1994, qui consacre à s'y méprendre, une espèce d'aboutissement du coup porté contre le Frodebu, qui, deviendra d'ailleurs complice de son propre enfermement.

Le système qui a permis  ce statu quo est en train de s'effondrer. Les événements de cette semaine portent le germe de cet effondrement, et cela, de mon point de vue, ne fait que commencer

Une justice à deux vitesses

Poursuivons notre réflexion en donnant un exemple pour illustrer un deux poids deux mesures qui me chicane. Quand les "droits de l'hommistes" de la Genève internationale plaident pour un tribunal spécial pour le Burundi, qui est d'ailleurs évacué du texte actuellement déposé pour adoption au Palais de Kigobe (Assemblée nationale), ils omettent bien souvent (à dessein?) de corriger ce deux poids deux mesures qui nous tue depuis au moins 40 ans et qui embrase toute la région africaine des Grands Lacs.

Je veux parler de cette justice sélective, cette justice à deux vitesses, qui en Afrique des Grands Lacs, permet aux plus grands bourreaux de choisir leurs cibles et de venir par la suite - et encore aujourd'hui, malgré les progrès du droit international humanitaire et l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité- nous donner des leçons en matière de paix et de réconciliation nationale... Le plus important étant que pendant ce temps les victimes broient du noir... Avec la complicité de quelques autres donneurs de leçons dans les vitrines internationales, y compris dans la (pourtant) sacrée société civile dont je fais partie (hélas, je le dis à ma honte).

Ainsi, selon cette logique, les diplomates et autres acteurs de cette scène, seront extrêmement regardants quand il s'agit des génocidaires hutu rwandais qu'ils amalgament d'ailleurs avec de paisibles citoyens burundais, mais feront peu d'efforts pour comprendre à quel point nous sommes choqués par les tapis rouges déroulés pour propulser de présumés criminels, que nous comptons parmi les plus grands tueurs présumés de notre histoire, et qui s'arrogent le droit de parler au nom de nos communautés continentales.

Notre Burundi, un cas d'école en Afrique des lacs

Parlons plus concrètement du Burundi dans ce contexte précis d'une justice sélective. Parlons simplement du génocide de 1972, qui est le premier dans l'histoire postcoloniale africaine à déranger la conscience de l'humanité.

Et posons deux questions : pourquoi l'ONU traîne-t-elle les pieds depuis août 1985 pour faire la publicité des conclusions établies par ses propres experts qui ont pointé le doigt sur l'innommable commis par le gouvernement Micombero et protégé jusqu'à ce jour par tous les successeurs de ce dernier avec (hélas !)?

Pourquoi ces yeux fermés de quelques internationaux. Y compris auprès des "lumières" recrutées dans des universités de haut standing ?

Lorsque tout ce monde a compris que la vérité reste la VERITE et que justice doit être faite, nombre d'éminences, parlant de la nécessité de tourner la page, se sont arrangées pour tout noyer dans de savants textes initiaux dédiés à la création d'une Commission Vérité Réconciliation (CVR), pendant les dix dernières années. Beaucoup de dollars ont été dépensés et beaucoup de rapports maintes fois revus, corrigés et nettoyés et nettoyés.

L'on a d'ailleurs trouvé des complices, surtout dans les deux gouvernements qui pilotent le pays entre 2001 et 2005, qui n'ont rien fait de remarquable pour crever l'abcès, choisissant même de prendre des mesures qui prolongent la guerre au lieu de l'arrêter.

Le problème est maintenant devenu plus compliqué : plusieurs bourreaux d'hier ont réussi une alliance contre nature avec leurs victimes et, grâce à l'électronique, tout se sait en temps réel, le danger étant évidemment que la massivité de l'information donne l'impression que les problèmes datent d'aujourd'hui alors que nos malheurs durent depuis des lustres! Et peu de voix ont à ce jour le courage d'attirer l'attention sur cet aspect, malgré sa prépondérance...

Dieu aime notre pays, en dépit de ce que nous pensons

Bref, soyons honnêtes : tout ce qui pourrait se passer à partir de demain matin est déjà suspecté. J'entends parler des risques de nouveaux massacres comme le craignent les opposants de l'ADC-Ikibiri; j'entends aussi des allusions à de potentiels débordements sur les dynamiques régionales, comme le sous-entendrait cette probable alliance que Busokoza dans sa fuite serait allé chercher au Rwanda... 

Reste qu'il y a des imprévus. Par surprise, certains événements nous prennent de court comme sous l'effet d'une baguette providentielle pour gouverner autrement nos espaces. En 1988, une simple lettre de deux pages et demies distribuées à une petite quarantaine de destinataires de Bujumbura a arrêté un massacre qui devait dégénérer en génocide, et a alerté le monde entier, jusqu'au siège des organisations de Bretton Woods.

Rappelons-nous des manifestations de décembre 2013. On chuchote que ces manifestations menaçaient de déraper si elles avaient eu lieu; elles furent court-circuitées par le deuil imposé suite à la mort de Mandela qui s'est invité à l'agenda burundais de tous les protagonistes, y compris sur les plus radicaux d'entre eux.

Rappelons nous surtout de la catastrophe écologique de dimanche-lundi dernier. Avec plus de 1000 morts, plus de 4000 maisons détruites par les coulées de boues, plus de 10'000 sans abris et nombreux autres dégâts collatéraux, les Barundi ont-ils compris qu'il y avait sans doute de bien plus grandes priorités ailleurs que dans les chicanes politiciennes sans lendemain et que le moment actuel devrait nous inciter à naviguer ensemble ?

D'où mon rappel : "Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais surtout parce ceux qui les regardent sans rien faire". C'est, dans ce contexte, mon slogan pour 2014.

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